mardi

Chapitre 16 - LOLA L.O.L.A.




"Il est frappé par la présence magnétique d'une jeune fille, longue liane fine et souple, qui déambule avec aisance et légèreté... Elle est l'image de la grâce, de la candeur, mais dégage une certaine assurance conférée par la certitude d'être à sa place en ce lieu, comme elle doit l'être partout, malgré son extrême jeunesse.
C'est ainsi que sont les adolescentes maintenant, nettement plus matures, pense l'homme brun qui la détaille en esthète, fauché par une émotion profonde non identifiée.
Elle porte une jupe très mini sur des jambières en dentelle noire et des ballerines du même ton. Ses longs cheveux bruns aux reflets rouges ondulent et sont répandus sur un T-shirt moulant à paillettes, on lui devine une poitrine délicate. L'ensemble pourrait paraître de mauvais goût sur n'importe qui, sauf sur elle...
Elle s'appuie d'une épaule au chambranle ouvragé d'une porte, elle lève à sa bouche une coupe de champagne qu'elle lape ingénument.
Une Lolita délicieusement provocatrice... Irrésistible, irréelle créature de manga...
L'homme brun se dit que celui qui osera l'approcher ne pourra faire autrement que de l'emporter. Réalise-t'elle la jungle où elle se trouve ? Claude s'est approché de lui pour balancer d'une voix égrillarde :
- Intéressante n'est-ce pas ? Cette minette doit-être une apprentie chanteuse en quête de pygmalion... Qui l'a invitée ?
- Je ne sais pas... Elle est différente des autres greluches...
- Tu parles ! Encore une qui se tape l'incruste et vient tenter sa chance... Quelqu'un va la prendre en main, gaulée comme elle est... J'essaierai peut-être tout à l'heure si elle s'est pas fait embarquer. Pour le moment, j'ai mieux à faire que de tester les nymphettes, Ophélie vient d'arriver...
- C'est ça, je ne te retiens pas...
L'homme brun fait le tour du somptueux appartement lambrissé, situé au dernier étage de l'immeuble occupé par « Planet Prod ». Il discute avec des gens de la profession musicale, artistique, médiatique... Il est en représentation. Il écoute les sollicitations, écourte les félicitations, évince les importuns, évite les hystériques... Il garde un œil sur la divine gamine... Ce soir, il est las de tout ce simulacre d'existence auquel il souscrit depuis qu'il a perdu la foi.
Tout le monde ici a remarqué l'adorable esseulée, les hommes lui jettent des regards gourmands, les femmes des œillades jalouses. Cela va mal finir pour elle...
Il se décide à l'aborder, si ce n'est pas lui, un autre le fera... Il sent qu'il ne le supportera pas. Il veut la connaître. Cela devient urgent, impératif, vital. Elle a peut être besoin d'être renseignée, rassurée...
Elle le voit venir, semble même l'attendre, elle lui plante un regard droit, dur, noir...
Il prend un direct au cœur, tousse, est obligé de mettre une main devant sa bouche.
Elle le contemple, l'air ironique, un charmant sourire trousse ses lèvres et lui dessine des fossettes...
Il tente avec une certaine timidité :
- Excusez-moi, mademoiselle, puis-je vous aider?
- Possible...
- Je ne vous ai jamais vue...
- Je ne suis pas d'ici...
Un accent chantant perce dans ses paroles et il s'en amuse :
- En effet...
- Vous vous moquez ?
- Mais non, c'est charmant... Quel est votre nom?
- Lola...
L'homme est pris d'un léger vertige, il se ressaisit.
Elle fredonne :
- « L.o.l.a... Lola... And I drink champagne and dance all the night... ».
II éclate d'un rire fantastique qu'elle reçoit avec joie et fureur, c'est bien lui, le diable de séduction signalé. Il ne perd rien pour attendre...
- Bravo chérie ! Tu connais tes classiques...Tu me plais...
- N'est-ce pas ? susurre-t'elle.
- Tu sais, bien sûr, que cette Lola n'était pas celle qu'elle paraissait être...
- Tout comme moi...
Il la scrute, intéressé :
- Vraiment...
- Vous voulez voir ?
Lola darde des yeux brûlants sur l'homme qui baisse le regard mais le replace très vite sur elle. Il est ému au-delà du possible. Une autre rencontre lui revient... Décalée, mais d'une intensité comparable. La rencontre de sa vie. Quel est ce nouveau tour diabolique que lui réserve le destin ? Le train de la félicité passerait-il deux fois, ou bien est-ce celui de la rédemption ? Il est bouleversé mais méfiant.
Pourtant, la jeune fille l'attire incroyablement. Il la détaille lourdement, ce regard, cette bouche, ces cheveux, ce maintien... Tous ces signes qui le tuent, c'est un doux et tendre supplice en forme de souvenance vibrante...
D'où vient-elle ? C'est invraisemblable... Cette gamine lui rend plus cruelle son actuelle solitude de nanti désabusé d'un monde superficiel. Il réalise qu'il n'en peut plus de son vide existentiel. Plutôt crever, ici, maintenant, que de supporter davantage cette mascarade... Elle... lui indique le point de rupture.
Lola le contemple, touchée, sa détermination vengeresse se craquèle... Ce type dégage un charme flamboyant tempéré par une mélancolie blasée... Il est farouchement séduisant avec sa chevelure noire en pétard, striée de fils gris et son rire en cascade. Elle se surprend à être fière de ça...
Elle devine... Mieux, elle capte tout en un éclair... Avec sa lucidité, son intuition, sa sensibilité. Le grand cirque de l'attraction, de l'amour, de la répulsion... Et l'amour qui ne meurt pas, qui ne peut pas mourir, qui ne veut pas mourir. Elle aussi est faite de cette matière... Amour, haine, attirance, rejet...
Toutefois, elle le tourmentera jusqu'au bout, elle murmure :
- Vous ne dites plus rien, vous vous sentez mal?
- Je réfléchis...
- Super ! Un homme intelligent ici ! Vous ne vous êtes pas présenté...
- Nicolas, Nicolas Toulouse...
- Ah ? Ça tombe bien, c'est vous que je cherche...
- Pardon ?
- C'est vous que je cherche...
- Pourquoi ? Tu as besoin de moi ?
- Non...
- Tu chantes ?
- Oui... Non...
- Je peux t'aider, si tu veux...
- Non...
- Pourquoi me cherches-tu, alors ?
Lola assène avec une tranquille assurance :
- Pour vous tuer...
Elle pointe de son index le cœur de Nicolas :
- Pour vous tuer, là...
- Qui es-tu ?
Il tremble, il blêmit...
Elle continue :
- Pour vous briser le cœur...
- Il l'est déjà...
- Non, pas complètement, il bat toujours... La preuve, vous souffrez...
- Qu'en sais-tu ?
- Ça se voit...
- Arrête ce jeu...
- Je veux vous détruire...
- Pourquoi, chérie ?
- Comme vous avez détruit ma mère...
Le coup est terrible. Il chancelle, passe la main sur son front, sur sa poitrine. Il peine à respirer..."



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